Il n’y a de bons journalistes que les journalistes courageux.
Ce n’est pas moi qui le dis, c’est Pierre Augustin Caron de Beaumarchais (1) qui savait ce qu’il pouvait en coûter de dire la vérité qui dérange.
Pour l’avoir fait, Anna Politkovskaia en est morte.
Tout le monde en a parlé…à notre tour donc...
Pour, évidemment, dire ce que les autres n’ont pas dit.
Car, à propos de cette histoire, tous les medias, et c’est bien normal par les temps qui courent, ont entonné le discours convenu sur le mode :’’L’indépendance de la presse, le recul vers la barbarie, le kagébéisme de retour…’’. Avec les trémolos de rigueur dans la voix.
Mais mezzo voce. Pas de grève, pas d’appel solennel et massif de toutes les rédactions à nos élus, lesquels observent un silence poli, assorti de commentaires convenus et convenables.
Pas question de plaisanter avec les choses sérieuses…Comme l’Algérie, la Russie nous ravitaille en gaz…
Bref.
Il y a, bien sûr, un peu de tout cela dans nos commentaires à nous mais tout de même un peu plus encore, que vous ne trouverez pas dans les autres gazettes on vous l’assure.
Pour commencer, comme le disent les policiers, à qui profite le crime ? Qui avait des raisons, à défaut d’avoir raison, de la tuer ?
Comme elle se préparait à expédier son papier sur la Tchétchénie et la politique violemment répressive de Vladimir Poutine soi-même, et de faire entendre la voix des massacrés dans l’épais silence des belles consciences européennes, il est évident que le Kremlin et tout le pouvoir qui va avec, en avaient, à la fois, plutôt marre de les entendre et besoin de les faire taire.
Celle-ci tout particulièrement.
UN BON JOURNALISTE EST UN JOURNALISTE MORT
La Russie d’aujourd’hui nous rappelle la France de Beaumarchais qui, sur la liberté d’informer disait à peu de choses près : ‘’Vous pouvez parler de tout sauf de religion, de politique, des abus de pouvoir, des fermiers généraux, de la noblesse, de la pauvreté et de la justice.’’.
C’est fou comme la Russie d’aujourd’hui ressemble à la France du XVII°/ XVIII° siècle. Comme, aussi, elle fait penser, et plus que penser, à l’URSS d’avant-hier.
Une différence, notable : alors qu’aujourd’hui les journalistes russes risquent leur vie sur un simple froncement de sourcil d’un politique ou/et d’un profiteur du régime, les plumitifs sous Krouchtchev ou Brejnev ne risquaient, au mieux, que l’envoi dans un placard, pas même doré, au fin fond de la Sibérie à compter les convois de corbeaux ravitailleurs, et au pire l’attribution d’un aller simple vers un camp de travail ou un asile psychiatrique.
Aujourd’hui, l’ultra rapide efficacité néolibérale anglo-saxonne, traduite en russe, est passée par là : un bon journaliste ne peut être qu’un journaliste mort.
De toutes manières, commenter la réalité autrement que selon la volonté du maître du Kremlin est une aberration de journaliste.
La réalité est ce que le pouvoir décide qu’elle soit. Point.
PAYS EN TROMPE L’OEIL…
Depuis la Grande Catherine on mesure l’évolution. Souvenez-vous de cette bonne impératrice qui, entre deux, trois ou quatre vacances frénétiquement amoureuses, ne visitait son petit peuple qu’en traversant des villages flambant neufs, proprets, respirant la santé et la prospérité, mais construits à l’avance de toutes pièces en prévision de son passage. Un pays de décors. Entièrement en trompe-l’œil.
Et c’est ainsi que la Russie était heureuse puisque l’impératrice l’avait vue telle de ses propres yeux.
De la Grande Catherine à Vladimir Poutine, la Russie n’a pas avancé d’un pouce. Du moins pour ce qui est de l’expression de la vérité, de la liberté d’expression, de la démocratie ou de ce qui devrait y ressembler, bref, de la civilisation ou de ce qu’elle devrait être, vu que désormais, elle a suffisamment de sous pour faire face aux dépenses de liberté retrouvée.
Drôle de rémanence, de permanence, tout de même depuis Nicolas II, que dis-je, depuis Pierre le Grand voire Ivan le Terrible ou Attila lui-même.
Sauf que le changement, rappelons-le, devient aujourd’hui de plus en plus sanglant. Salement inquiétant de la part d’un pays qui prétend à la civilisation, et dont les dirigeants se fâchent tout rouge lorsqu’on qualifie leurs manières de barbares.
Par ailleurs, nous savions à l’avance ce qu’allaient être la, les réponses du nouveau tsar de toutes les Russies aux questionnements, surtout étrangers. Ceux d’Angéla Merkel par exemple.
Les réponses correspondaient bien à nos attentes :’’Laissons l’enquête se faire et la justice suivre son cours car nous tenons à l’indépendance des pouvoirs.’’ Ou encore, ‘’De nombreuses pistes sont à envisager car cette dame avait beaucoup d’ennemis.’’.
Il y en a un tas d’autres qu’on peut vous servir à la demande.
Mais deux d’entre elles nous ont surpris : ‘’Les articles de cette dame n’avaient que très peu d’influence et ne gênaient même pas notre politique.’’
Enfin, la Vérité sort de la Voix de son maître !
ROUPIE DE SANSONNET ET PIPI DE CHAT !
Effectivement, les articles de la journaliste ne gênaient en rien le Kremlin qui continuait, contre vents et marées, à massacrer ou à couvrir les massacres de son gauleiter sur place. Les articles de la Politkovskaia ? Bof ! Roupie de sansonnet pour le Kremlin. Pipi de chat quoi!
L’ennui c’est que par ce demi aveu, Vladimir Poutine sous-entend que comme les articles ne le gênaient en rien, -sauf qu’il les lisait pour en connaître si bien le contenu-, ce ne peut absolument pas être lui le haut commanditaire responsable du meurtre.
Circulez, il n’y a plus rien à voir !
Comme disait l’autre, les choses que l’on ne fait pas en disent bien plus sur nous que les choses que l’on fait.
Et, durant deux grands jours, monsieur Poutine n’a pas pipé mot alors que, pour un excellent démocrate qu’il prétend être, on se serait attendu à une réaction aussi immédiate, indignée et tonitruante du Grand Tsar.
Du genre ‘’Scandale ! Une honte, Lâche assassinat ! Intolérable atteinte à la liberté d’expression !’’
Au lieu de cela : silence sur les ondes…
Dommage : il a manqué une bonne occasion de se refaire une virginité internationale. Mais on ne peut pas penser à tout…
A quel usage ces deux jours silencieux ?
A concocter les réponses à faire au questionnement international ?
A aiguiller les curieux vers une culpabilité obscure et multiple, crapuleuse pourquoi pas, voire mettant, peut-être, en cause, -en voilà une idée qu’elle est bonne -l’intégrité de la morte ?
Ou à dégoter quelque part un ou des possible coupables bien minables, bien commodes et bien gênants, qui feront bien l’affaire pour mettre un terme à toutes les investigations… ?
Qui n’ont guère de chances d’aller à leur terme. En tous cas en satisfaisant la raison et la Vérité toute nue.
MAITRE DU MONDE
Voilà ! La Russie, aujourd’hui, est encore plus intouchable que l’URSS d’hier.
Vladimir Poutine est le maître du monde.
Il n’a pas encore rattrapé le Japon et les Etats-Unis et n’est pas encore rattrapé par la Chine. Mais patience…
Pour le moment, il peut faire chanter à la planète entière, le grand air des esclaves pour peu qu’elle sache donner la papatte et se taire pour avoir du gaz ou du pétrole.
Il le sait, tout le monde le sait.
Il dicte sa volonté à la Terre entière. USA compris.
Il a en main les vrais atouts maîtres : l’énergie, les matières premières…et encore un potentiel nucléaire et militaire qui donne à réfléchir, sans oublier un pouvoir fermement tenu dans une seule main. Une main de maître.
Et ce n’est pas la microscopique mort d’une journaliste encore plus microscopique, même si la voix dérangeait, qui va l’empêcher d’imposer ses quatre volontés au monde entier.
Alors ?
Eh bien l’hégémonie brutale, la terreur stalinienne est de retour. Habillée en démocratie…enfin c’est comme cela qu’on appelle le régime moscovite.
Parce que 150 journalistes déjà descendus par les forces du nouvel ordre local, cela ne signe pas tellement un régime réellement démocratique.
La manière forte, il n’y a que ça de vrai. La preuve : les Russes l’ont acceptée durant plus de 70 ans, et la chute du Mur n’a été que le résultat de la faillite économique de l’URSS et pas d’un soulèvement populaire.
De quoi redonner espoir et du tonus à tous les staliniens de notre pays qui n’en pouvaient plus de larmoyer sur la sacro sainte disparition de leur idole bien aimée.
PAS DE ça CHEZ NOUS
Cela dit, qui y a-t-il d’original dans notre façon d’appréhender cette histoire ?
Eh bien la certitude que ce qui est arrivé à notre consoeur ne risque guère de survenir dans notre beau pays. Et c‘est un peu triste. Non que nous aspirions à voir ‘’nos’’ journalistes occis par ceux que leurs écrits dérangeraient. Mais nos inoxydables guides médiatiques, eux, ne dérangent plus personne. Si ce n’est ceux qui ne peuvent pas constituer de danger. Braves les journaleux mais pas téméraires…Forts avec les faibles et faibles avec les forts.
Et puis, nous n’alimentons plus de guerre impopulaire et nos mirlitaires à nous ne font plus que dans des opérations de pacification. Surtout pas dans le genre pacification de la Tchétchénie.
‘‘Nos’’ journalistes ne risquent pas grand-chose à traiter les scandales politiques et politico financiers. Déjà parce qu’ils ne les traitent jamais à fond, et que nos élites à nous sont intouchables puisque toujours blanches comme neige.
Et puis parce que dès que ‘’ça sent mauvais’’, mieux vaut se détourner du danger.
Chez nous, on ne flingue pas, du moins pas ostensiblement. Enfin pas souvent en tous cas.
On se contente de faire d’amicales pression, qui montent en gamme selon la résistance ou l’honnêteté du journaliste : primes qui sautent, avancement compromis, voire déplacements dans un autre centre, quand ce n’est pas un mauvais et rapide procès avec licenciement à la clef. Licenciement généralement confortable…
Mais l’on va rarement jusque là. L’auto-censure est devenu un principe de survie dans la profession. Difficile, aujourd’hui, de trouver un journaliste qui risquerait sa place pour le droit de dire la Vérité. Et évidemment pas sa vie…
J’ai connu ça…
LES PLUS HONNETES
Et puis, il est malséant, dans notre beau pays de France, d’aller titiller l’honneur de nos élus qui, s’ils ont été élus justement, étaient, de ce fait reconnus comme étant les plus honnêtes, donc des hommes dont l’honneur ne saurait en aucun cas être seulement mis en doute. Ils sont les meilleurs, bref, les plus dignes de représenter le peuple.
Tiens, un exemple : l’ex-maire de Bordeaux a été réélu. Certes, il a été condamné à une peine infamante, en tous cas pour un élu, pour qui, se servir dans la caisse des impôts publics, pour son propre usage politique devrait être, tout de même, quelque chose de vraiment honteux.
Néanmoins, cela ne l’empêche pas, toute honte effacée par le temps passé à souffrir dans le silence glacé des blancheurs canadiennes, de revenir aux commandes.
En toute démocratie.
Donc, d’avoir droit aux félicitations les plus chaudes de tous les journalistes (sic) à qui il ne viendrait jamais à l’idée de dire que, quelque part, c’est tout de même un peu gênant pour la morale ne pensez-vous pas chers lecteurs ?
Quant aux électeurs eux, invoquer cette morale-là ne saurait être que ringard, passéiste, donc, argument sans valeur. Le relativisme moral est contagieux…
Notons au passager que le nouveau maire a clamé bien haut que le scrutin et l’élection étaient une victoire de la démocratie.
Alors que…euh…user du terme démocratie, nous ça nous fait un peu drôle…
En effet, 58% de votes favorables sur 40% d’exprimés, ne représentent, en définitive, que 23% du corps électoral de tous les Bordelais.
Ce qui signifie que si 23 habitants sur cent voulaient du nouveau maire, 77 n’en veulent pas.
Même si le scrutin est ainsi fait, et même si les abstentionnistes n’avaient qu’à se déplacer et les opposants se rassembler, cela donne, tout de même, une bien curieuse démocratie.
Heureux pays donc pour les journalistes que le nôtre.
Auréolés de la ‘’gloire’’, bien haut (auto) proclamée des envoyés spéciaux dans les pays en guerre ou à risques et dans lesquels ils n’ont jamais mis les pieds (2), les présentateurs des JT, éditorialistes et autres grands (quelle hauteur ?) journalistes, ne risquent plus guère, en fait de fusillade, que des désaveux de leur rédac-chef ou directeur de rédaction, émanations directes des pouvoirs politiques et financiers.
Lesquels ont pour ligne de conduite : ‘’La meilleure pêche se fait par beau temps.’’
Donc, pas de vagues et l’argent de la pub sera bien gardé.
Le fric d’abord, le reste n’est que divagations de fumeux moralistes et états d’âme de névrosés du bocal.
Même discours, au fond, que celui du pouvoir russe, à ceci près que là-bas, l’omnipuissance d’argent et d’armes automatiques, comme l’était celle du KGB, est toujours présente et se manifeste avec une férocité tranquille qui s’adresse aux gêneurs mais aussi à tous ceux qui pensaient qu’était venu le temps de la démocratie et à qui l’exemple est aussi destiné. A toutes fins utiles…et à bon entendeur…
Les journalistes russes vont-ils partir en guerre ?
Mais d’abord, seront-ils seulement suivis par leurs lecteurs, tristement absents aux obsèques de la malheureuse ?
La démocratie succédant à la dictature bolchevique ? Un vieux rêve toujours remis aux lendemains qui déchantent de plus en plus.
C’était oublier un peu trop vite l’éternelle et sacro sainte Russie pétrie d’autoritarisme, d’inégalité criante de classes et de religiosité complice…
C’était compter sans le couple infernal du pouvoir et de l’argent.
Quel Soljenitsyne se lèvera-t-il pour dénoncer le pourrissement et les iniquités de ce nouveau goulag ?
(1) Dans le Mariage de Figaro.
(2) Il est plus glorieux -et facile- de faire pleurer Margot et frissonner le bourgeois au 19-20 avec des images irakiennes, qu’à l’aide de reportages sur la dure vie des SMICARDS et leurs moyens (inefficaces) pour boucler leurs fins de mois.