Lorsque j'ai photographié mon copain Truong devant le mont Kilimandjaro, il y a de cela...pas mal de décennies, il n'était pas encore classé - le mont - au patrimoine de l'humanité. Il l'a été seulement en 1987, cent ans tout juste après sa première ascension.
Ce qui nous avait frappé, Truong et moi, c'est non seulement le fait qu'à distance, son dôme glaciaire flottait, immaculé, sur une masse nuageuse au-dessus des plaines du Serengeti (côté Kénya), mais qu'en grimpant sur ses pentes, on passait de la savane herbeuse à la végétation subtropicale puis carrément à la verdure suisse alémanique. Des papayes jusqu'aux cerises!
Aujourd'hui, les photographes, chasseurs et touristes devront pédaler ferme pour aller photographier son glacier avant que ses célèbres neiges qui fondent comme...elles au soleil et surtout à la chaleur des combustibles fossiles, aient complètement disparu.
Tout aussi tristement qu'on disparu les centaines de milliers d'éléphants, les espaces inviolés, et même, pire encore, une certaine forme de dignité individuelle des autochtones.
En effet, à l'époque, comme tout bon beauf ethno-francocentriste, je voulais tirer le portrait de certains Masaïs mais ils m'en ôtèrent très vite l'envie. D'abord par un refus sec mais poli puis sur mon indécente insistance, par des menaces non dissimulées, lance au fer de 50 centimètres à la main. Les gars en question avaient, bien avant nous, la notion très ferme du droit à LEUR image.
Et me rappelaient, par là même, que s'ils venaient en France, j'aurai trouvé bizarre leur intention de photographier les indigènes de ma famille, auvergnats ou périgourdains..voire parisiens, dans nos vêtements traditionnels et nos occupations quotidiennes: achat de baguette, paiement des impôts et autres dégustations de petit noir de comptoir, sans oublier les blagues salaces et la gastronomie locale à base de cochonneries sans cesse réinventées.
Aujourd'hui, ils figurent, ces ''indigènes'', et sans barguigner, dans les albums ou dans les films de nos bulots explorateurs qui, avec d'excellentes prétextes de protection de ces malheureux, se font de confortables rentes et incitent encore plus les touristes à aller leur pourrir la vie.
Mais, n'est-ce pas, nous dit-on, aujourd'hui ils sont très coopératifs. Mieux: ils aiment ''çà''. Ils ont compris que ''çà'' va les aider à se protéger. Puisqu'on vous le dit!
Quant aux éléphants, déjà à l'époque, le braconnage et la contrebande battaient leur plein et, tenez vous bien, au bénéfice de hauts personnages, dont on susurrait, avec prudence qu'ils se situaient au plus hauts niveaux de l'Etat. Sûrement un des aspects les plus notables du Progrès qu'avaient apporté avec eux les Britanniques à qui, en matière de colonisation, nous n'avons, d'ailleurs, guère de leçons à donner.
Grosse différence: le Tanganyka de l'époque s'appelle aujourd'hui Tanzanie.
C'est fou ce que çà change.