Si nous ne nous occupons pas, à notre tour, de cette vénéneuse et filandreuse affaire, qu’allez-vous penser de nous ?
Dès lors, et comme, en plus, nous avons perdu du temps à nous décider de traiter le sujet, il ne nous restait plus qu’à trouver un vrai scoop pour réduire le retard, voire même à repasser en tête des medias les mieux informés.
Donc, fidèles à notre ligne éditoriale, conscient de notre force et du caractère pugnace de nos journalistes d’investigation, assurés de notre puissance de travail, faisant face, une fois de plus, à notre obligation d’informer en toute indépendance et en toute probité, en un mot assumant nos belles traditions, c’est donc ce que nous faisons.
Et en étant pas plus fier pour ça…
Le scoop ?
On a trouvé le vrai responsable.
Rien que ça ?
Rien que ça !
D’accord, d’accord, on ne va pas vous refaire l’affaire en détail.
On rappelle.
Une ex-barbouze russe est atomisé à (pas trop) petit feu par des ex-collègues, voire des collègues tout court. En effet, l’on ne quitte jamais cette branche d’activités où le turn over est assez élevé et où tout est à vendre à qui peut payer.
Qui l’a tué ? Crime ? Ou, peut-être, accident nucléaire modèle réduit ?
Nul ne sait…sauf votre journal favori.
Alors ? Dites nous…
Bon, bon. Pour commencer, on ne va pas vous gaver des histoires de contacts et liens amicaux ou adverses avec les Lougovoï, Zakaev, Berezovski et autres Feltshinsky et Scaramella, tous plus ou moins mêlés, à des degrés divers, à ce pétillant imbroglio.
On ne vous détaillera pas non plus, mais on vous susurrera quand même, les hypothèses qui courent dans les secret services britanniques.
Il y a le choix.
Basse vengeance du Kremlin ?
Ou, peut-être, vendetta des copains qu’il a honteusement ‘’donnés’’ aux Anglais, vu que c’est une tradition du FSB, ex-MVD et ex-NKVD, et depuis la Guépéou, d’exécuter les transfuges et autres traîtres à cette humanitaire institution ?
Ou encore, accident survenu alors que l’espion tentait de fourguer sa came irradiante à des intéressés comme on en trouve tant dans certaines provinces exotiques et même plus ou moins moyen orientales?
On a tout imaginé.
Et même évoqué un iridescent pépin survenu en fabriquant une bombe maison, bombe destinée à équiper des ennemis, en général, du Kremlin et tchétchènes en particulier.
L’on n’a pas encore évoqué le suicide d’un chômeur en manque de basse besogne et voulant faire honte à son ancien employeur mais ça y ressemblerait vaguement.
Justement, une de ses compatriotes a écrit dans l’Observer (1) a évoqué une autre piste encore : celle de la triste fin d’un ex superman condamné à la retraite et à l’exil, et, de ce fait, à jalouser ses compatriotes pleins aux as et que, peut-être, il voulait faire un peu chanter pour mettre du beurre dans ses maigres épinards.
Alors ? On brûle de savoir.
PREMIER SUR LA LISTE
Eh bien, chers lecteurs, nous ne sommes pas vraiment en mesure de dire ce que furent les détails du drame, ni l’identité de ou des exécutants. Au passage, n’oublions pas que la mort d’un homme et les malheurs – et menaces – qui planent sur sa famille, ne sont pas choses à prendre à la légère.
Ce qui nous interdit de traiter l’affaire de la manière sensationnelle propre aux medias habituels.
Néanmoins, faute de précision sur le mode opératoire, nous sommes, en mesure de vous dire, comme certains ‘’canards’’ l’ont supposé, que Vladimir Poutine lui-même semblerait être, et malgré toutes les dénégations officielles et les autres hypothèses journalistiques, au tout premier rang de la liste assez longue des candidats.
Responsable mais pas coupable ?
On ne s’avance pas mais…
La police française, comme toutes celles de ce bas monde, a pour principe, en présence d’un crime, meurtre ou assassinat, de se demander ingénument :’’à qui profite ce crime ?’’.
Logique.
Et efficace.
Mieux, si de hautes personnalités sont plus ou moins montrées du doigt, , l’opinion publique, sensées faire preuve de bon sens, ‘’attend les démentis, à défaut de diligenter les enquêtes que les pouvoirs haut placés peuvent engager quand ça leur chante.’’
Car il y a de quoi s’étonner bigrement du lourd silence et du désintérêt abyssal du Kremlin pour une affaire qui le met en cause, tout de même plutôt directement.
Silence et mépris…
Comme si l’affaire n’était que prétentieuse poussière sous les roues du char d’un état qui ne recule, pourtant, devant aucune manœuvre, pour se maintenir et, surtout, durer, fut-ce bien au-delà de ce que la Constitution locale stipule.
Exemple de ce genre de manœuvres ? Les évènements qui ont ‘’poussé’’ la Russie à entamer la guerre, disons plutôt le massacre, tchétchène.
Il s’agissait, alors, des attentats sanglants consécutifs au dynamitage d’immeubles d’habitation à Moscou, lesquels attentats ont été soupçonnés d’avoir été concoctés par des séides du pouvoir, voire des hommes du FSB.
Ce ne serait pas la première, ni la dernière, fois que ce genre d’opérations seraient mises en œuvre pour justifier les plus basses œuvres de quelque pouvoir que ce soit.
Or, dans les accusations de l’irradié à mort, figuraient ces accusations.
Quant on se souvient aussi de quelle manière avaient été ‘’réglés’’ les drames de l’école de Beslan et de l’Opéra de Moscou…
Bref, l’ex-agent racontait bien des choses, et même à tort et à travers, sur le pouvoir, ses amis, ses agents, ses manières d’agir ainsi que sur nombre d’affaires bien dérangeantes. En tous cas côté image démocratique à laquelle tient tant le Kremlin.
Car non content d’avoir remis la Russie à la place ‘’d’honneur’’ de l’URSS, monsieur Poutine apprécie autant le beurre que lui procure son rang de premier fournisseur d’énergie du monde, que l’argent du beurre que la crainte de ses clients de le voir fermer le robinet du gaz, lui confère en lui attribuant un certificat de bonne vie et mœurs.
Ce qui nous fait très sérieusement penser que la disparition du quidam, tout comme, d’ailleurs, celle de tous les ex-espions passés de vie à trépas depuis quelques mois, sans oublier celle de la journaliste révolvérisée, profite à qui on vous le demande ?
D’ailleurs, qui pourrait bien empêcher l’enquête des policiers britanniques sur le sol russe, d’aboutir, vu les paquets de bâtons que la justice locale leur met dans les roues, au prétexte plus de la souveraineté nationale que de l’amour de la pure vérité?
Et puis, dites, lorsqu’on s’appelle Vladimir Poutine, que l’on dirige une des deux plus grandes puissances mondiales, que l’on dispose d’une police, d’une justice et de services secrets entièrement à sa dévotion, comment expliquer que les enquêtes non seulement piétinent mais tournent aussi court qu’elles ont commencé.
La version russe de la liberté de la presse s’énonce-t-elle ‘’Un bon journaliste est un journaliste mort’’ ?
Dans ce cas, et a fortiori, imaginez un peu ce qu’il peut advenir d’un ex-complice à la langue trop longue et qui menace de tout dire…
Au fait, la question ne sera pas posée aux candidats.
Et moins encore aux autorités russes elles-mêmes par leurs homologues européens.
L’hiver s’annonce rude et sans gaz n’est-ce pas…
(1) Repris par Courrier International de cette semaine.