Lu sur le site de FLJ, le commentaire, pour le moins désabusé, fait par un journaliste américain sur la profession, sa profession.
Nous en citons, ici, quelques lignes. Version, sinon expurgée, du moins notablement raccourcie:
''Nous sommes les outils obéissants des puissants et des riches qui tirent les ficelles dans les coulisses. Nos talents, nos facultés et nos vies appartiennent à ces hommes. Nous sommes des prostituées de l'intellect. Tout cela vous le savez aussi bien que moi!''.
Il s'adressait, ce journaliste, à ses collègues au cours d'un banquet - çà mange un journaliste, autant qu'il mange bien - qui était offert à son club, de journalistes, par on ne sait quel généreux sponsor. Cette largesse d'on ne sait plus qui, n'empêchait pas notre collègue de rester lucide pour ce qui était de son travail, de sa situation, de son avenir.
Sombre, manifestement.
Cet avenir, nous y sommes. En effet, le journaliste, c'était John Swinton (1). Le repas se déroulait à New-York et c'était le 25 septembre...1880. Il y a 124 ans!
Alors?
Vous pensez que ''çà'' a beaucoup changé depuis?
Certes, les journalistes sont toujours honnis par tout ceux qui, de près ou de loin, ont le pouvoir. Et ils le payent cher. Surtout, d'ailleurs, en ce moment, les journalistes, héroïques, pauvres, souvent bénévoles, des pays d'Afrique mais aussi de tous ceux où la dictature armée tient lieu de démocratie.
Nos journalistes à nous connaissent également un sort analogue. Dans les pays éloignés s'entend. On le voit avec notre malheureuse consoeur actuellement torturée par l'angoisse et on ne sait trop quoi de pire, parce qu'elle est simplement journaliste. Mais qu'aussi, parce que son enlèvement tient lieu de moyen de pression pour obtenir...allez savoir quoi.
Il est, cependant, une erreur d'évaluation à ne pas commettre.
L'arbre ne doit pas cacher la forêt.
Si elle, et nos autres confrères, risquent leur peau en Irak ou dans les pays en guerre ou en troubles politiques, tous les journalistes, au quotidien, dans les pays riches, risquent, au minimum, leur place, et au maximum, de gros gros ennuis, voire plus, s'il leur vient à l'idée, seulement, de dépasser la ligne jaune de la bien-pensance (2). De la pensée unique. Résultat:l'ordre bien pensant règne...un peu partout dans les pays prospères.
Ce qui veut simplement dire que s'il y a des horreurs à dénoncer outre-frontières, elles sont, ces horreurs, bien exotiques, donc plus aisées à faire connaître. Moins dérangeantes...chez nous.
Les pouvoirs locaux sont bien loin là-bas.
Donc, moins à craindre pour ce qui est des interventions et censures possibles sur les articles paraissant ici.
Et puis, il est plus vendeur de faire s'apitoyer les lecteurs et téléspectateurs sur les abominations, bien visibles, de la guerre meurtrière au canon et à l'explosif, plutôt que sur celles, bien cachées, moins sanglantes mais tout aussi destructrices de notre système social, politique et économique.
Ces horreurs, les nôtres, sont moins visibles. Mais bien présentes. La misère qui n'ose pas dire son nom. La gêne, la pauvreté, l'humiliation de millions de, comme disaient les nazis, ''untermenschen'', sous-hommes et sous-femmes qui ne méritent même pas qu'on en parle, n'est-ce pas?
En effet. Ne sont-ils pas heureux, tout de même, ces gens-là de vivre dans une nation si riche? Où ils peuvent s'alimenter en pitance au rabais dans les discounts et s'abrutir devant les télépitreries de bas étage?
Du pain et des jeux. Panem et circences. Cà remonte à loin.
N'est-ce pas le bonheur de vivre heureux dans un pays occidental prospère tel que le nôtre?
C'est vrai. On ne peut pas faire pleurer Margot en ressassant les difficultés à vivre dans notre pays de un à deux millions d'hommes et surtout de femmes, qui ont la si mirifique chance de percevoir tous les mois le vertigineux SMIC de 950 euros par mois!
Et qui vivent, somme toute, très normalement. Avec des salaires, on l'a dit, considérables.
Qui ont de quoi faire rêver tous les Angolais, Maliens, Sahraouis, bref, tous les Africains, Chinois et Indiens de la terre, dont ces largesses feraient, dans leurs pays, de vrais nababs!
Alors? Eh bien, c'est très simple. Dans notre pays à nous, il n'y a donc pas d'avenir pour le journalisme puisqu'il n'y a rien à dire de vraiment spectaculaire. CQFD.
Pour ''faire'' du journalisme, pour pouvoir dire, il faut faire dans l'exotisme. Aller voir ailleurs ce qui ne va pas. Puisque chez nous tout, ou quasiment, va si bien.
No future le journalisme?
(1):Cité dans Labor's Untold Story e Richerd O.Boyer et Herbert M. Morais. NY 1955/1979)
(2)Au fait, il y a belle lurette que les lignes jaunes sont peintes en blanc hein? Alors...