Au temps des instits en blouse grise, noire pour les moins riches, de l’encre violette et de la craie qui grince, l’Instruction Publique était simple.
Les rapports élèves professeurs ou instituteurs étaient ce qu’ils étaient, ma foi, depuis des siècles, voire des millénaires.
Les élèves, des hommes en devenir mais aussi des enfants qui apprennent, devaient donc apprendre des tas de choses qui leur seraient indispensables dans leur métier futur.
Ils apprenaient également d’autres choses bien utiles.
Notamment qu’avant de commander il faut savoir obéir à une hiérarchie, à un ordre social donné, bref, qu’ils vivaient dans une société où la liberté des uns s’arrête où commence celle des autres.
Simplicité biblique s’il en fut.
Mais pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?
Aussi, depuis Lionel, a été introduite une notion nouvelle au sein de ce qui était devenu entre-temps, on ne sait que trop bien pourquoi, l’Education Nationale.
Nouvelle notion : la négociation.
Désormais, l’on négocie entre professeurs et élèves, entre professeurs et parents d’élèves, et, par voie de conséquences, entre les élèves et leurs parents.
Il faut dire que les crânes d’œuf qui ont pondu et imposé cette notion n’ont pas très bien compris, semble-t-il, qu’en apprenant aux enfants à négocier, en fait à discuter, voire à discutailler de ce qu’ils avaient envie ou pas de faire, on leur apprenait aussi à opérer de même au sein de leur milieu familial.
Certaines habitudes acquises en milieu scolaire, ont donc produit, on le sait, des résultats imprévus en famille, mais là, n’est-ce pas, les parents étaient, et sont toujours les seuls, à payer les éventuels pots cassés ailleurs et par d’autres.
Comme, en plus, la tendance des parents était, déjà, de pratiquer la politique de l’enfant roi, au point, quelquefois, de venir tabasser le prof qui avait le front de punir leur petite divinité larvaire, il ne faut pas s’étonner que la négociation en question n’a fait que croître et embellir pour devenir une pratique régnante autant en famille qu’en milieu scolaire.
L’on n’en est pas encore aux empoignades de caravansérail mais on s’en approche.
De la notion, évidemment normale, de l’élève considéré comme un être humain à part entière et non comme un sous homme, on est passé à celle de l’enfant égal aux adultes.
MORALE ET DISCIPLINE
Désormais donc, l’on discute, on marchande, on décide, et surtout l’on se garde bien, actuellement, de faire appel à la notion d’autorité, de discipline dont les seuls mots donnent de l’urticaire à certains enseignants voire, à des comités d’élèves, à des conseils d’enfants qui n’ont pas seulement voix au chapitre, mais pouvoir de décider.
Et puis, là encore, il est tellement plus confortable d’être populaire en lâchant du lest que de passer pour des adjudants de quartier en mettant des limites là où il en a toujours fallu et où il en faudra encore longtemps.
La négociation voilà la solution…!
Sauf que, nous le voyons, la pratique déborde désormais dans les familles : on négocie sur tout.
Du menu du petit déjeuner, à l’heure du coucher, en passant par le programme télé, la facture du téléphone portable, l’heure de sortie ou de rentrée au bercail et le noms des copains et des copines, tout se négocie.
Et les familles où l’on ne suit pas la mode, sont considérées comme retardataires, attendant d’ailleurs et dignes d’être dénoncées - à quand le numéro de délation gratis ? - à un futur juge de parents abusifs, pour la punition desquels on va bien concocter une loi spécifique, propice à leur enlever toute envie de donner à leurs mouflets l’éducation dont ils ont besoin.
Et de temps à autres, les taloches qu’ils méritent.
Certes, les lois nouvelles, la Fillon entre autres, tentent de revenir en arrière.
Précision : l’on n’estime pas du tout que cette loi représente le fin du fin en matière d’opportunité et de finesse éducationnelle dans sa totalité.
Néanmoins, pour ce qui est de tenter de récupérer cette fâcheuse tendance à la négociation, elle semble au moins revenir à une conception plus saine des rapports entre enfants et adultes.
Oui mais!
Comment faire concorder désormais les deux tendances, l’ancienne pas mal laxiste, et la nouvelle plus restrictive ?
2X2 A LA CALCULETTE
Cela nous rappelle les efforts de certains enseignants qui tâchent de revenir aux ânonnantes tables de multiplication afin de corriger l’invraisemblable tendance actuelle qui pousse les enfants à utiliser la calculette pour savoir ce que font 2 fois 2.
Je n’invente rien, j’ai personnellement constaté !
Les mauvaises habitudes sont les plus difficiles à faire disparaître.
L’Instruction Publique était dans son rôle.
Elle instruisait, elle apprenait aux enfants des sciences et techniques propres à leur future vie professionnelle, l’éducation étant laissée, normalement, aux parents qui eux enseignaient à leurs enfants les règles de la vie en commun, en famille, en société, morale comprise.
Il est vrai que l’Education Civique et la Morale qui étaient enseignées en début de toute journée de classe il y a de cela…des millénaires quasiment, font regretter, aujourd’hui, les habitudes et principes qui sous tendaient et sous tendent encore les habitudes de vie d’une classe adulte pourtant considérée comme ringarde.
Et quelque part, l’on peut retrouver, dans le désir d’éduquer civiquement les enfants dès leur plus jeune âge, Marseillaise à l’appui, une envie certaine de retrouver certaines pratiques qui avaient, qu’on le veuille ou non, pas mal fait leurs preuves d’efficacité.
L’ennui est que l’on n’a retenu de ce diptyque éducationnel, qu’un élément sur deux.
On veut reprendre l’Education Civique mais l’on a oublié la Morale qui apprenait, notamment, à dire ces quelques mots dont nous cessons de regretter qu’ils aient totalement disparu de la bouche et de la cervelle - ou ce qui en tient lieu - des enfants et des adultes : bonjour monsieur ou madame, s’il vous plaît, pardon, merci, je vous en prie etc…
Petites lacunes, peu de choses peut-être, mais très révélatrices des manques cachés, bien plus profonds, bien plus graves, qui sapent les fondements mêmes de toute vie en société et de toutes les relations humaines qui se veulent, aujourd’hui, totalement égalitaires.
Et ce entre des individus qui ne peuvent l’être, simplement au niveau de leur développement physique, affectif, intellectuel, humain donc avec toutes les complexités que cela recouvre.
Il est vrai que lorsqu’on se permet de prononcer le mot de morale, avec tout ce qui s’y rapporte, la plupart des gens sortent leurs arguments à balles réelles.
A une époque où les mots grossiers sont devenus d’une banalité vitale, le terme moral devient, lui, d’une incroyable grossièreté…
Certes, la disparition de la chose qui se généralise, du haut en bas de l’échelle sociale, n’incite pas à la pratique.
L’on peut, d’ailleurs, prévoir la disparition du mot dans les années qui viennent.
Alors ?
Quid de l’Education face à la négociation ?
On souhaite bien du bonheur aux familles qui ont applaudi à cette mesure laquelle ne va pas cesser de porter ses fruits.
Quand bien même tous ceux qui auront prêché la négociation, pourront faire le compte - mais s’abstiendront de le faire - des problèmes auxquels seront confrontés les élèves qui comprendront très vite que le monde actuel et futur seront de moins en moins enclins à négocier.
Non que la négociation soit à rejeter : la vie sociale est faite de compromis.
Toutefois, l'habitude de rejetet toute discipline est toujours payée par ceux qui la refusent, jamais par ceux qui vous l'enseignent.
Et encore moins par les conseilleurs qui n’auront pas été les payeurs.